Une matinée à la Cité
Compte-rendu des interventions durant la Journée officielle du 125e anniversaire de l'AML, le 25 février 2023 dans la salle du Grand Conseil.
Compte-rendu des interventions durant la Journée officielle du 125e anniversaire de l'AML, le 25 février 2023 dans la salle du Grand Conseil.
C’est à la présidente du Grand Conseil, Mme Séverine Evéquoz, qu’est revenu l’honneur d’ouvrir les feux oratoires. Avec beaucoup de chaleur, elle a rappelé combien il est important de conserver pour protéger, mais aussi de « transmettre et raconter pour ne pas oublier ». Par son parcours personnel elle est toujours restée proche de la nature : « Les racines », a-t-elle déclaré, « ça me connaît… j’entends ici celle des arbres ! » Ayant participé au recensement des plus beaux arbres lausannois, elle en a retenu « l’importance du devoir de mémoire et la nécessité de reconnaître, trier et classer les objets-témoins, petits et grands ».
Pour le plus grand plaisir de l’AML, le Conseil d’État était représenté par une authentique Lausannoise, Mme Rébecca Ruiz. Elle a rappelé que Charles Vuillermet avait été à la base de la fondation de notre association à un moment où des bouleversements urbanistiques chamboulaient le visage de Lausanne, et elle s’est demandé quel œil jetterait aujourd’hui ce défenseur du patrimoine devant les nombreux chantiers de ce début de XXIe siècle : « On peut penser à la Gare, au Grand-Pont, au métro M3, à Plateforme 10, à l’Hôpital des Enfants… et au futur tram qui reliera le cœur de la cité avec l’ouest. » A défaut de pouvoir répondre à la place de Charles Vuillermet, elle s’est référée à une réflexion de Baudelaire qui permet de surmonter les contradictions : « La forme d’une ville change hélas plus vite que le cœur des mortels … », ce à quoi le poète avait ajouté : « A nous urbains et mortels d’apporter notre contribution pour que cette ville qui change porte en elle le désir de l’habiter. » Une parole que Mme Ruiz a manifestement faite sienne, elle qui a toujours résidé dans la capitale vaudoise, dont elle déclare « qu’il faut l’aimer pour la ressentir ».
Après les interventions de représentantes de la mouvance rose-verte, c’est un membre du PLR, M. Pierre-Antoine Hildbrand, qui nous a apporté le salut de la Municipalité. Plaçant sa réflexion à l’intersection entre passé et futur, il nous a fait part de son espoir « que l’actuelle Municipalité soit à l’avenir classée dans celles qui ont réussi, non seulement à préserver des bâtiments et des quartiers, mais aussi à permettre la création de nouveaux patrimoines, que l’on pense aux infrastructures sportives, aux nouveaux quartiers d’habitation ou d’affaires des Plaines-du-Loup et de la Rasude. » Conscient que Lausanne a subi un certain nombre de démolitions intempestives, il a aussi rappelé que la Municipalité avait bien le souvenir du message de Charles Vuillermet, dont une salle de l’Hôtel de Ville porte son nom.
Après les représentants des autorités, c’est le président de l’AML, M. Alain Faucherre, qui a repris le témoin pour présenter l’histoire de l’association et ses diverses activités.
Son exposé est placé sous la devise : Les vrais hommes de progrès sont ceux qui, pour point de départ, ont un profond respect du passé. Ernest Renan.
Après avoir rappelé que Lausanne, ville aux dimensions modestes, avait joué à maintes reprises un rôle géostratégique au cours des siècles, il fait le constat que la libération du joug bernois à la fin du XVIIIe siècle aura pour conséquence un emballement parfois anarchique du développement de la ville. La volonté politique d’écrire une nouvelle page d’histoire a eu comme conséquence d’effacer, à l’image de la porte Saint-Maire, des pans entiers du passé de la ville. Cent ans après l’indépendance vaudoise, c’est le peintre Charles Vuillermet qui jouera les lanceurs d’alerte en s’adressant aux autorités en termes particulièrement alarmistes :
Les rapides changements qui transforment notre antique et pittoresque ville gothique en une ville moderne et sans caractère nous imposent le devoir de recueillir les souvenirs et les débris de son antique passé. Hélas ! Notre vieux Lausanne n’est plus ! Défendons du moins ce qui reste de ce cadavre que l’on piétine sans respect et sans doute avec beaucoup d’inconscience.
Ses interventions ont convaincu la ville de Lausanne de créer le 24 février 1898 une commission qui deviendra quatre ans plus tard l’Association du Vieux Lausanne. Très vite, l’association a pu collecter de nombreux témoignages du passé lausannois qui feront l’objet d’expositions à la Grenette de la Riponne puis, plus tard, au Palais de Rumine. Mais l’objectif était de pouvoir montrer ces collections dans un véritable musée, rêve qui se réalisera le 5 décembre 1918 dans des locaux aménagés dans l’ancien Évêché à la place de la Cathédrale. Une absence marquera malheureusement l’inauguration, celle de Charles Vuillermet, décédé peu de jours auparavant. Dès lors, le destin de l’association sera intimement lié à ce qui deviendra le Musée historique de Lausanne.
Durant l’entre-deux-guerres, l’Association du Vieux-Lausanne, alors sous la houlette du charismatique président Georges-Antoine Bridel, va encore élargir ses activités. Elle contribuera à créer le Musée romain à Vidy et héritera de la Maison Buttin-de-Loës à Grandvaux, Dès les années cinquante, l’Association du Vieux Lausanne, qui deviendra plus tard l’Association Mémoire de Lausanne, s’est peu à peu délestée de certaines tâches pour se concentrer sur le soutien aux collections du Musée historique. C’est ainsi qu’elle a, en 1963, passé la main à l’Association Pro Lousonna pour tout le passé romain ; en 1967, elle va laisser le rôle de défenseur du bâti historique au Mouvement de Défense de Lausanne et, en 2011, elle cèdera la Maison Buttin-de-Loës à une fondation qui sera mieux à même d’en assurer la maintenance.
L’AML a largement contribué à la richesse des collections déposées au Musée historique, dont seule une infime partie peut être exposée. Que ce soient les collections photographiques, les affiches, les peintures, l’argenterie, le mobilier ou des objets du quotidien, elles sont une ressource pour les diverses expositions, mais aussi pour des travaux de recherche. La chance permet parfois de mettre la main sur des trésors, comme les photos d’Adrien Constant de Rebecque, acquises lors d’une mise aux enchères après plus de cent ans de recherche. La malchance est aussi au rendez-vous, par exemple quand le bureau du Dr Tissot est acquis par un Américain pour une somme astronomique.
Un des objectifs fondamentaux de l’AML reste de faire mieux connaître l’histoire lausannoise. Dans ce sens, elle a contribué pendant plus de vingt ans à la publication de la revue Mémoire Vive qui a malheureusement cessé de paraître par manque de moyens, humains et financiers. Sur un autre plan, elle a mis sur pied une organisation de visites et conférences qui s’égrènent au fil de l’année et dont le succès ne s’est jamais démenti, leur mérite étant aussi de favoriser les contacts entre membres. C’est aussi, plusieurs fois par semestre, l’occasion de rappeler qu’à Lausanne tous les chemins mènent au Musée Historique, partenaire intrinsèquement lié à notre association.
Quelques repères historiques
1898 : première réunion le 24 février 1898 d’une commission du Vieux-Lausanne
6 février 1902 : la commission devient Association du Vieux-Lausanne
27 déc. 1918 : ouverture du Musée du Vieux-Lausanne, appelé plus tard Musée de l’Ancien Évêché
1934 : ouverture du Musée romain à Vidy
5 déc. 1963 : création de Pro Lousonna
1987 : le Musée de l’Ancien-Évêché devient le Musée historique de Lausanne MHL
2002 : l’Association du Vieux-Lausanne devient l’Association Mémoire de Lausanne
2011 : cession de la Maison Buttin-de-Loës à une fondation
20 avril 2018 : réouverture du Musée historique après d’importantes transformations
Le 125e anniversaire de l’AML ne pouvait se résumer à une assemblée. Le comité a donc décidé de laisser un souvenir tangible de ce moment. Fallait-il organiser une exposition rétrospective ? publier une plaquette ? rechercher un objet emblématique ? Finalement, il a été décidé de confier à l’agence WGR la réalisation de trois « capsules vidéo », c’est-à-dire de courtes séquences d’animation, évoquant le passé lausannois à l’époque où est née notre association. Trois sujets ont été retenus, qui évoquent Lausanne 1900 en nous emportant dans un monde d’images nostalgiques et délicatement teintées d’humour. On est transporté pendant quelques minutes à la Belle Époque dans des situations qui évoquent des moments de l’histoire lausannoise : nous voilà patinant à Sauvabelin avant d’emprunter le funiculaire entre Ouchy et la vallée du Flon et d’assister à un goûter agrémenté du fameux chocolat Kohler ! On se réjouit déjà à l’idée que ces images soient projetées pour le 200e anniversaire de l’AML en 2098 et on imagine la bonne humeur qu’elles susciteront !
Le Dr Philippe Vuillemin a horreur des discours convenus, où l’on répète ce que l’auditeur veut entendre, et il a l’art de faire sauter les idées reçues. Pour les 125 ans de l’AML, il a d’abord tenu à mettre en exergue un passé glorieux que la timidité vaudoise a tendance à occulter : Oui, Lausanne, lors de la consécration de la Cathédrale, a été le centre de tout ce qui comptait en Europe, pape et empereur compris. Elle sera aussi l’Évêché du futur pape Jules II, créateur des gardes suisses et suscitera de grandes carrières diplomatiques à l’exemple d’Aymon de Savoie ou d’Othon de Grandson. Quant à la Dispute de Lausanne, elle fut un moment clé de la Réforme. Sous le régime bernois, Lausanne s’éteint petit à petit, malgré quelques soubresauts, comme les conjurations d’Isbran Daux pour que Lausanne revienne dans le giron savoyard ou celle de Davel qui en faisait son point de départ pour secouer le joug bernois. Pourtant Lausanne se réveille au XVIIIe siècle, grâce à des artisans entreprenants, en particulier dans l’orfèvrerie et l’édition, mais aussi à travers des « salons », réunissant des intellectuels autochtones et des étrangers de plus en plus attirés par les rives lémaniques. Devenue capitale d’un canton, la ville explose démographiquement au XIXe siècle. Ses autorités se voient confrontées à de grands problèmes urbanistiques alors que la mobilité – trains, bateaux, tramways – augmente son attractivité. Ce développement suscite aussi des ressentiments dans l’arrière-pays et un certain clivage ville-campagne. Au-delà des turbulences, Lausanne a su maîtriser son destin : ville universitaire, de culture, capitale du mouvement olympique, elle rayonne à nouveau pour le meilleur de ses habitants.
Avec beaucoup d’à-propos, M. Laurent Golay a su mettre en perspective un objet des collections déposées au MHL, en montrant comment un étui à cigarettes a pu prendre une valeur à la fois symbolique et historique à un niveau où la petite histoire rejoint la grande. Une dédicace gravée sur l’objet en question nous rappelle que cet étui a été offert en 1922 par Raymond Poincaré, alors Président du Conseil de France (aujourd’hui on parlerait de premier ministre) à M. Guex, avocat lausannois, qui a été secrétaire général d’un tribunal mixte franco-allemand. Ils se sont rencontrés dans le cadre de la Conférence de Lausanne dite pour la Paix en Orient, tenue entre le 20 novembre 1922 et le 24 juillet 1923, date à laquelle sera signé le Traité de Lausanne, qui a redéfini les territoires de l’ancien empire ottoman. On a donc ici le témoignage d’une amitié entre deux hommes qu’aurait pu séparer la différence de notoriété, et un souvenir tangible d’une conférence tenue à Lausanne et qui aura un retentissement géopolitique mondial. On retrouvera cet étui à cigarettes aux côtés de l’exemplaire original du Traité de Lausanne lors de la prochaine exposition du MHL qui, sous le titre Frontières, célébrera les 100 ans de l’événement. Bel exemple de la rencontre d’un objet-souvenir discret et privé avec un document officiel de portée internationale. Laurent Golay en a tiré une belle leçon sur la tâche délicate dévolue aux musées dans le choix et le tri des objets. C’est là qu’intervient le conservateur, dont la délicate mission consiste à enrichir et non à encombrer les collections !
A l’occasion de son 125e anniversaire, l’AML a décidé d’attribuer un prix pour un travail universitaire touchant à l’histoire locale. La lauréate, Mme Gabrielle Duboux, a défendu, le 30 août 2021, un travail de mémoire sur le thème : Audiovisuel et information médicale. Le partenariat helvétique Cadia (1970-1973). Ce travail, qui a obtenu une note maximale, est un exemple remarquable de l’histoire médiatique de l’après-guerre. Au centre de cette étude, on retrouve les Editions Rencontre, qui avaient déjà senti les enjeux du développement de l’univers audio-visuel, mais aussi de grandes entreprises pharmaceutiques à la recherche de nouveaux moyens de communication. Parmi les protagonistes, on retrouve une grande figure du journalisme, Charles-Henry Favrod, qui sera à la base du Musée de l’Elysée. Si l’expérience Cadia s’est achevée sur un échec commercial, elle est tout de même un bon exemple du foisonnement culturel qui régnait autour de Lausanne pendant les Trente Glorieuses. Après la remise du prix, la lauréate a présenté un exposé chaleureux et brillant qui a permis à l’assemblée de saisir la démarche et l’ampleur de son travail de recherche historique.
La cérémonie commémorative du 125e anniversaire s’est terminée par un apéritif dînatoire servi dans la buvette du Grand Conseil. Sur deux écrans, un diaporama a permis aux convives de découvrir ou redécouvrir des vues anciennes de Lausanne, sur un itinéraire allant d’Ouchy à Sauvabelin. Cet échantillon de documents a pu donner une idée des précieuses collections de photos conservées par le Musée historique.
L’AML tient à remercier toutes les personnes et institutions qui ont contribué au succès de cette cérémonie commémorative du 125e anniversaire, en particulier :
Alain Faucherre, président de l’AML
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